Sur les prairies, sur les fils tendus entre les piquets de bois, séchait le linge de printemps avant le repassage. Et l’odeur de lessive nous pénétrait.
Souvenez-vous de l’instant où les coquelicots fermés dans leurs boutons ne laissent deviner que des liserés, rouge-pâle, entre les sépales accolés ; bien avant que les prairies ne se composent de leurs écharpes rouges épanouies.
- Elles vont s’ouvrir ; bientôt elles vont s’ouvrir.
Je décollais moi-même les membranes vertes, les séparais, les cloquais du bout du doigt, puis avec délicatesse dépliais les pétales naissants. La fleur prenait son image de fleur, fraîche et belle, encore chiffonnée.
Souvenez-vous aussi de ces fillettes qui se cachaient avec moi près de la cour d’école, dans ces prairies attenantes, bientôt fleuries. Chaque jour, l’une d’entre elles se tenait devant moi, fière. Avec la même délicatesse, je levais sa robe, ému et tendre, ou sa jupe, puis je levais son jupon, elle me donnait à la voir.
- Les fleurs, disais-je, sont habitées par des femmes, les coquelicots par des fillettes. Lorsque j’eus mes dix ans, mes parents et moi déménageâmes. J’entrai en classe de sixième au Lycée Descartes à Tours. A la ville.
J’oubliai les coquelicots. Je ne revis jamais les fillettes.